Arthur Rambo de Laurent Cantet
We're weaker
Synopsis :
Qui est Karim D. : l’écrivain engagé que les médias s’arrachent ou son alias Arthur Rambo, auteur d’anciens messages haineux que l’on exhume un jour des réseaux sociaux ?
MON AVIS :
Quatorze années après Entre les murs, Laurent Cantet retrouve Rabah Naït Oufella pour incarner le personnage principal de son nouveau film. Le récit s’inspire d’un fait médiatique datant de 2017 impliquant l’écrivain Mehdi Meklat.
L’œuvre amorce alors que notre jeune auteur est en pleine ascension. Nous le découvrons à travers une émission télé afin de promouvoir la sortie de son roman. Cette couverture médiatique et l’effervescence des réseaux sociaux contaminent autant le rythme du récit que l’écran via l’apparition d’avis numériques. Nous sommes transportés dans divers lieux et rencontrons ainsi les différents protagonistes gravitant autour de Karim D. Nous ressentons parfaitement le phénomène littéraire que représente cette personne.
Lorsque l’ensemble de ces informations sont assimilées, des éléments disruptifs font leur apparition à travers des tweets. Leur fréquence augmentera jusqu’à quitter la sphère virtuelle et mettre un terme à la sacralisation de notre homme.
La suite des événements nous aidera pour comprendre les raisons de ce compte Twitter passé et les conséquences sur sa situation présente.
Durant l’entièreté du récit, le réalisateur nous balade au sein de Paris et de sa banlieue. L’écrivain en déchéance se confronte à ses différentes connaissances et doit faire face à leur réaction.
Ces rencontres permettent à ses interlocuteurs ainsi qu’aux spectateurs de tenter de comprendre sa démarche. Nous cernons mieux sa personnalité et certaines contradictions entre ses actes, son visage public et sa vie privée.
Il est par exemple étonnant de voir Karim D. compétent lorsqu’il s’agit de retracer le parcours de sa matriarche et son combat tout en étant incapable d’effectuer une introspection vis-à-vis de son comportement passé. Alors que le début du film nous présentait l’émergence d’un homme accompli, la suite nous montre qu’il reste juvénile sur bien des aspects. Il est incapable de remettre en question la portée de ces écrits, que l’humour n’est pas un argument suffisant pour les justifier et qu’il peut devenir un mécanisme d’oppression.
Cette déchéance montre aussi l’importance de l’identité numérique dans notre vie réelle. Le digital n’est plus un univers décorrélé de notre quotidien. Il en est devenu une partie intégrante. Cette prise de conscience est loin d’être établie encore dans notre société. L’écrivain sera d’ailleurs confronté directement à cette réalité lorsqu’il découvrira l’impact de son comportement passé sur un proche.
Un autre sujet exposé en trame de fond est l’exemplarité demandée aux individus issus d’une minorité ethnique. S’extraire d’un déterminisme social précaire est déjà une charge physique et mentale importante. À cela s’ajoute une épée de Damoclès permanente où chaque faux pas entraînera une mise au pilori. En cela, ces personnes sont plus fragiles face à une société cannibalisant ses citoyens qu’elle considère de seconde zone.
C’est ce qu’expérimente Karim dans cette situation. Sa culpabilité dans les propos tenus est indéniable. Pour autant, le traitement appliqué est à questionner. La situation aurait-elle été traitée de la même façon pour une personne issue d’un milieu plus aisé ? L’auteur donne des éléments de réponse à travers la réaction de sa sphère intime.
Par ailleurs, la retranscription des événements sur une temporalité si réduite apporte une énergie. Nous ressentons l’urgence ressentie par le jeune homme tentant de sauver le peu qu’il lui reste alors que sa carrière s’écroule totalement. Cette personne initialement bien entourée se retrouve brusquement isolée et démunie. L’auteur opte ainsi pour une trajectoire directe des événements, sans digression et évite ainsi toute baisse de régime. Nous enchaînons les confrontations et glanons nos informations dans l’action.
En somme, Laurent Cantet réussit à reprendre un sujet issu d’un fait divers pour offrir une analyse sur notre identité numérique, la fracture sociale en France et le racisme latent imprégnant chacun de nous.