Joker de Todd Phillips

Don’t believe the hype

Synopsis :

Dans les années 1980, à Gotham City, Arthur Fleck, un comédien de stand-up raté est agressé alors qu'il ère dans les rues de la ville déguisé en clown. Méprisé de tous et bafoué, il bascule peu à peu dans la folie pour devenir le Joker, un dangereux tueur psychotique.

Joker de Todd Phillips

MON AVIS :

Difficile de passer à côté de l’aura entourant Joker de Todd Phillips. Depuis sa récompense surprise, et surprenante (?), du Lion D’or à la Mostra de Venise, les retours dithyrambiques ne cessent de pleuvoir. À l’aune d’un Hollywood enlisé dans un système de production malade où adaptation live, franchise et énième suite, se partagent le box-office, ces premiers retours sont porteurs d’espoirs. 
En effet, si une telle œuvre fonctionne durant son exploitation en salle, il peut être escompté que les stratégies commerciales, et donc artistiques, soient révisées pour suivre cette tendance. Bien évidemment, avant d’espérer un renouveau hollywoodien, encore faut-il s’assurer que cela se fasse pour des bonnes raisons, ou plutôt se fonde sur de bonnes bases.
Suite au succès commercial de Wonder Woman, Warner Bros décide de développer, en parallèle de son DCUniverse, des stand-alone centralisés sur le passif de protagonistes phares de la franchise.
Par ailleurs, le studio, rêvant de confier la réalisation à Martin Scorsese, démarche Leonardo DiCaprio pour le rôle-titre. L’idée est abandonnée lorsque Todd Phillips présente sa vision du récit et porte son choix sur Joaquim Phoenix. Initialement rattaché au projet en tant que producteur, le réalisateur de Taxi Driver quittera finalement le navire. 
Ces deux informations, sommes toutes anodines, se retrouvent à être les deux aspects sur lesquels le film génère des déceptions.

Joker Todd Phillips Joaquim Phoenix
Chaque adaptation cinématographique de Gotham était l’occasion de redécouvrir la ville sous un nouvel angle. Bien qu’ayant des approches particulièrement différentes, on retrouvait chez chacun des réalisateurs précédents un élément architectural commun : un style se rapprochant du néo-gothisme. 
Il n’est pas étonnant de constater que cet aspect soit absent dans la version de Todd Phillips. L’auteur, avouant être sous influence scorsesienne période 70/80, ne cherche aucunement à construire un environnement se rapprochant du berceau de Batman.
Chaque rue, chaque bâtiment, transpirent New York et ce ne sont pas les quelques institutions clés, renommées pour l’occasion, qui réussiront à faire illusion. Ce Gotham n’est qu’un ersatz. Elle est bien plus la ville de Travis Bickle, Rupert Pupkin et Jake LaMotta que celle qui a vu naître Oswald Cobblepot, Harvey Dent et Arthur Fleck.
Outre ce choix d’environnement peu convaincant un autre point pose problème. Celui-ci réside dans la cohérence vis-à-vis de l’univers qu’il est censé investir.
Toute la partie relative à la famille Wayne est bancale. Pour commencer, l’écart d’âge entre Joker et Batman ne cadre pas avec la mythologie établie. Ces deux êtres sont censés être les deux faces d’une même pièce : la raison et la folie. Leur relation est, par nature, ambiguë. Certains auteurs de comics allant même jusqu’à imaginer que l’homme au sourire éternel est la part sombre, et instable, de la chauve-souris. En créant ce fossé temporel, l’auteur annihile toutes les confrontations possibles entre ces deux personnages. En suivant la trajectoire proposée, Bruce Wayne sera le chevalier noir lorsqu’Arthur Fleck sera grabataire.
Pire encore, en apportant sa vision sur le traumatisme historique subit par le jeune Wayne, Todd Phillips anéanti la motivation principale de l’enfant sur son parcours à venir. Le meurtre de ses parents est la raison pour laquelle il décide de purger la ville du mal qui le ronge. En transformant cet acte criminel en lutte de classes, comment peut-on justifier une telle trajectoire ? 
À cela, s’ajoute un choix d’acteur incompréhensible pour Alfred Pennyworth et une sous-intrigue sur la parenté d’Arthur Fleck ne sachant jamais vers quelle direction tendre.
Il est difficile de croire que l’œuvre fut pensée comme ancrée dans l’univers DC. Au vu des partis-pris, nous avons plus l’impression que Todd Phillips a souhaité rendre hommage à une période du cinéma tout en incorporant des éléments de Gotham afin de remplir le cahier des charges du studio. Ce constat se conforte, par exemple, lorsque Murray Franklin, parlant d’employés de la Wayne compagnie, les qualifie de « jeunes de Wall Street » !

Joker Todd Phillips Joaquim Phoenix
Bien que dérangeante, cette incapacité, à s’ancrer dans une franchise, aurait pu être compensée par la création et la réalisation d’un récit maîtrisé. Comme tout le monde s’accorde à le dire, la photographie, les décors et les costumes permettent de conférer un esthétisme agréable et facilite l’immersion dans cette époque.  On peut regretter que la réalisation ne mette pas plus à profit ces atouts. La mise en scène, trop conventionnelle, offre le strict minimum. Elle n’arrive que trop rarement à conférer de la profondeur aux situations qu’elles captent. Ce constat peut s’expliquer par une absence de vision de l’auteur vis-à-vis de son sujet.
En effet, l’influence de Scorsese ne se limite pas qu’à son ancrage dans un New York des années 70/80, mais passe aussi par une réutilisation d’éléments issus de la filmographie de l’auteur. La majorité des emprunts proviennent de King of Comedy. 
Pour rappel, ce dernier raconte l’histoire d’un humoriste en devenir tentant d’obtenir les faveurs de son présentateur TV préféré. Ce lien se retrouve entre Arthur Fleck et Murray Franklin. Certaines séquences proviennent directement de cette œuvre : les scènes où l’homme s’imagine sous le feu des projecteurs. Malheureusement, l’auteur n’arrive pas à se réapproprier ces idées. Il souffre donc de la comparaison avec son modèle.
De plus, le rôle de De Niro est très artificiel. Son personnage n’est qu’un levier scénaristique. Il n’apparaît que pour justifier grossièrement la naissance du Joker.
Là où Scorsese a su capter la folie d’un homme victime de ses obsessions, Phillips propose, lui, le parcours d’un humoriste raté. On assiste certes à une descente aux enfers d’une personne acculée et isolée, mais le propos est bien trop explicité et appuyé. On nous impose ce constat à travers les dialogues. On ressent constamment la volonté de l’auteur à exprimer les situations vécues et ressenties. Il aurait été préférable de laisser le soin au spectateur d’appréhender les événements au lieu de lui imposer un discours formaté.
Joker Todd Phillips Joaquim Phoenix Robert de Niro
Au final, il peut être compréhensible que des spectateurs s’y retrouvent dans ce que propose Todd Phillips. L’approche proposée est effectivement différente des dernières productions DC et Marvel. Pour autant, elle n’est en rien original. Logan de James Mangold et la trilogie Nolan offraient déjà une approche réaliste de ces univers. Avec Midsommar et Us, la cuvée 2019 se retrouve à être emplie de propositions cinématographiques frustrantes. 

 


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