Cold Skin de Xavier Gens
We are the ennemy
Synopsis :
À l'automne 1914, alors que la première guerre mondiale a déjà commencé en Europe, un jeune climatologue débarque sur une île déserte située dans l'océan austral pour y travailler pendant un an. Il rencontre le gardien de phare, étrange personnage à la personnalité torturée. Il découvre rapidement qu'ils ne sont pas seuls. À la nuit tombée, d'étranges et redoutables créatures surgissent de la mer.
MON AVIS :
Avant de retrouver les salles obscures avec Budapest, Xavier Gens s’est construit une filmographie qualitativement inconstante depuis Frontière(s). Parmi ses œuvres, Cold Skin fait partie du haut du panier. Cette adaptation du roman éponyme d’Albert Sánchez Piñol nous place aux côtés d’un climatologue fuyant la civilisation pour d’obscures raisons.
En espérant obtenir la quiétude nécessaire à son introspection, l’homme déchante rapidement lorsqu’il fait la rencontre de la faune locale.
Accompagné de la voix-off du protagoniste, l’auteur nous dresse rapidement le cadre de son récit. Une fois les différents personnages présentés, nous sommes immédiatement plongés dans ce Monster Flick via une attaque nocturne anxiogène. Cette plongée quasi-immédiate dans l’action s’explique par l’approche adoptée par le metteur en scène.
Le synopsis laisse à penser que nous sommes face à un schéma classique de l’Homme face à la nature. La réalité est tout autre. Il est en effet question d’une confrontation entre deux espèces. Pour autant, là où des œuvres telles que Dog Soldier, Feast ou encore The Descent centraient leur intrigue dans la nécessité de s’extirper de cette situation, Cold Skin préfère s’intéresser sur la cohabitation entre les différentes factions via deux axes de lecture.
En premier lieu, il y a évidemment la coexistence impossible entre ces créatures autochtones et la race humaine. Au fil du récit, la thématique de l’Homme colonisateur se développe. Il permet de nuancer le point de vue que nous avons où notre duo masculin serait d’innocentes victimes cherchant simplement à se défendre. Il est d’ailleurs intéressant de replacer cette histoire dans son contexte historique. En 1914, l’Occident est une composition d’empires coloniaux. La construction de ces puissances s’est faite dans un rapport de domination perfide passant par l’avilissement des opprimés. On retrouve un processus semblable dans la confrontation entre les deux espèces. L’infériorité numérique humaine est compensée par sa puissance de feu. La présence d’une troisième entité dans le phare participera grandement à approfondir cette réflexion.
Le second point concerne la relation entre les deux hommes. Ces deux individus que tout oppose doivent s’unir pour repousser les vagues d’ennemis une fois la nuit tombée. Cette alliance fragile s’étiole lorsque le jour se lève et qu’il s’agit de confronter leurs convictions respectives. Entre le gardien de phare misanthrope et le climatologue altruiste chaque action se révèle être un sujet de discorde. L’évolution de l’intrigue ne cessera de creuser le fossé entre ces compagnons de fortune.
La promiscuité du lieu de repli nous permet de générer de l’empathie ou de l’aversion pour ces êtres. L’impact émotionnel de leurs actes en ressort décuplé. L’auteur évite de créer deux personnages antagonistes manichéens. Il préfère nuancer leur personnalité au grès des situations . Ainsi tout au long du récit, nous sommes poussés à revoir nos jugements sur les différents individus. Le final conclura parfaitement cette analyse en mettant en avant le facteur environnemental dans la construction de notre personnalité.
Outre des thématiques intéressante, le réalisateur met aussi à profit son décor. L’œuvre est ponctuée de plans magnifiques mettant en exergue l’isolement total de ces hommes sur ces terres sauvages. L’île est un personnage à elle seule. Elle a un tempérament changeant selon les instants de la journée. Elle recèle divers secrets qui seront découverts par le jeune climatologue. À l’instar de ces créatures amphibies, le lieu est un élément auquel les hommes doivent se confronter et s’adapter pour survivre.
En somme, Xavier Gens détourne le survival horror pour se concentrer sur les comportements humains en terre inconnue. Bien que souffrant de quelques longueurs, l’œuvre est passionnante dans cette approche et éblouissante dans sa mise en scène. Il est regrettable que Cold Skin n’ait pas bénéficié une sortie au cinéma comme se fut le cas en Espagne.